C’est sans doute un manque d’inspiration, ou l’habituel procès d’intention qu’il fallait encore justifier. Quand Hollande se déplace à la cérémonie du 150ème anniversaire du SPD, quelques-uns scrutent, décortiquent, analysent son discours pour y voir les traces ou les preuves de son social-libéralisme à la Schröder.
Prenez l’exemple de Mediapart, via Lénaïg Bredoux, qui a commis un court billet titré : « L’ode de François Hollande à Gerhard Schröder ».
L’accroche est belle. J’ai donc lu la suite. Un peu angoissé par l’idée que notre président traverse le Rhin pour faire chanter une ode à Schröder, je cherchais donc « l’hommage » dans le texte et la video qui, d’après Lénaig Bredoux, surpassait tous les autres. Je tombe enfin sur l’accusation, quelques mots du discours sorti de leur contexte:
Mais François Hollande a été encore plus loin en rendant un hommage appuyé à l’ancien chancelier Gerhard Schröder, présent dans la salle. « Le progrès, c’est aussi de faire dans des moments difficiles des choix courageux pour préserver l’emploi et anticiper les mutations industrielles. Et c’est ce qu’a fait Gerhard Schröder et qui permet aujourd’hui à votre pays d’être en avance sur d’autres. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, elles peuvent même faire surgir des controverses mais rien ne se construit, rien de solide ne se bâtit en ignorant le réel »
Pour appuyer sa « démonstration« , l’auteur assène que cette référence à Schröder « n’était pas prévue dans la dernière version écrite du discours ». Mon dieu ! Hollande est social-libéral contre l’avis de ses plus proches collaborateurs !
Troisième et dernière « preuve » que Hollande est si schröderien, il choisit ses hommages: « Dans son discours, François Hollande a par ailleurs renoncé à citer deux des cofondateurs du SPD, marxistes revendiqués, August Bebel et Karl Liebknecht. » Hollande a aussi osé louer le congrès de Bad-Godesberg, en 1959, où le SPD rompit « officiellement » avec le marxisme. Une « preuve » de plus de sa propre conversion au « social-libéralisme« .
Ah ! Quelle démonstration !
Surpris de l’évident décalage entre l’accusation (« L’ode de François Hollande à Gerhard Schröder »)
et ma perception, j’écoute donc le discours de Hollande, retransmis par Elysée.fr et Mediapart; une version écrite, conforme à celle prononcée sur place, est d’ailleurs en ligne.
1. Oui, Hollande a rendu un hommage à Schröder, comme à 6 autres dirigeants du SPD: Helmut Schmidt (chancelier SPD 1974-1982) et Erich Ollenhauer (président du SPD 1952-1963) pour la construction européenne, Otto Wells (président du SPD en 1933) pour sa résistance au nazisme, Kurt Schumacher (président du SPD 1946-1952) pour la reconstruction d’après-guerre, Willy Brandt (chancelier, président du SPD 1946-1987) pour l’ouverture à l’Est …Hollande devait-il occulter Schröder de son discours ? Ben non.
2. Hollande a rendu un hommage à la « social-démocratie » allemande, en trois points, dans l’ordre: la « démocratie« , le « progrès« , et le « réalisme« . Mediapart aurait pu citer un morceau plus complet du discours, qui comprend l’extrait relatif à Schröder:
Au moment où fut fondé le SPD, le progrès c’était « la fixation de salaires minima, l’enseignement gratuit, l’assurance maladie, la liberté d’association, la réduction de la durée du travail, la création de coopératives de production ».
Tout cela fut acquis au cours des décennies qui suivirent et largement étendu à l’ensemble du continent européen.
Grâce à l’action et à l’influence du SPD, le progrès prit ensuite la forme de la démocratie sociale avec la reconnaissance des droits des salariés à être informés et consultés sur les choix stratégiques des entreprises, avec la culture du compromis pour faire évoluer le droit du travail et avec la négociation entre partenaires sociaux pour faire évoluer l’Etat providence.
Le progrès, c’est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l’emploi et anticiper les mutations sociales et culturelles. Et c’est ce qu’a fait Gerhard Schröder et qui permet aujourd’hui à votre pays d’être en avance sur d’autres. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, elles peuvent même faire surgir des controverses mais rien ne se construit, rien de solide ne se bâtit en ignorant le réel .
Quelle ode !
Mediapart a raté l’essentiel. Car ce discours n’était pas consacré ni même relativement centré sur Schröder. Il est très curieux que Mediapart ait complètement loupé le sujet principal, presque obsessionnel du propos présidentiel livré à cette occasion: l’ode au compromis. Hollande l’a servi à toutes les sauces, sur tous les tons, dans tous les chapitres: compromis social, compromis européen, culture du dialogue, etc…
« Le compromis n’est pas un arrangement mais un dépassement. »
Conclusions: on peut être (mollement ou fortement) opposé à la loi de flexi-sécurité récemment votée en France (c’est mon cas) sans pour autant procéder à de telles caricatures.
Il y a des jours où mon surmoi masochiste aimerait que Hollande fasse enfin du Schröder. Histoire de certains réalisent combien ils ont crié trop tôt et trop fort.
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