Le Journaliste et le Blogueur


A l’issue d’une conversation familiale animée, j’en suis venu à me demander si la profession de journaliste n’était pas en grand danger. A force de surfer sur le Net pour animer 3 blogs depuis 14 mois, je suis terrifié par un certain grégarisme médiatique. Sans volonté de polémiquer, je m’interroge sur les spécificités du journaliste par rapport au simple citoyen blogueur que je prétend être, avec d’autres.

Avant mon bloguing politique actif, le Journaliste avait trois avantages sur moi: (1) il obtenait l’information ; (2) il interprétait l’actualité en croisant les informations; (3) son travail était largement diffusé.

Aujourd’hui, le Journaliste les a perdus :

(1) l’information des Journalistes est rarement de première main. Certes, certains sont proches du pouvoir, et obtiennent des confidences parfois inégalables. Ces journalistes ont d’ailleurs tous leur blog personnels (Apathie, Barbier, Revel, etc). D’autres sont reporters de terrain, et risquent parfois leur vie. Même sur le terrain, le Journaliste peut perdre tout recul sur son sujet, manipulé par la propagande locale (cf les « embedded » reporters en Irak).

(2) Les analyses du Blogueur ont rattrapé celle du Journaliste. Le Web donne accès à des sources multiples, et gratuitement. En termes d’éthique journalistique, le Blogueur essaie aussi de vérifier ses sources; de ne pas publier de mensonges (puisqu’il veut conserver voire accroître son lectorat). Il interprète bien sûr, mais qui prétendra que l’information est traitée indifféremment par Le Figaro, Marianne, et Le Point ? Sur certains sujets, j’ai autant d’expertise que nombre de journalistes.

(3) Enfin, les blogs sont diffusés. La presse conserve certes l’avantage de la notoriété et une puissance de diffusion inatteignable par les blogs. Mais les blogs touchent leurs cibles, y compris des journalistes. Un site comme Betapolitique aggrège ses propres productions et certains billets qu’il reproduit en syndication.

En fait, la seule vraie différence qui demeure entre le Journaliste et le Blogueur est qu’il est payé pour informer. Moi pas.

Certains journaux traditionnels ont compris cette convergence réelle entre blogueur et journaliste. Le site 20minutes a développé une très efficace plate-forme d’expression blogosphérique pour ces lecteurs: « A la une des lecteurs ».  Le Monde l’a copié, en lançant Le Post, une drôle de démarche, sans contrôle. Le JDD, Libération, et le Point ont proposent aussi à leurs lecteurs d’héberger leurs blogs. Des sites d’information plus « participatifs » tels Rue89, Mediapart ont rejoint les AgoraVox et autres Rezo.

Marianne a poussé l’étape plus loin. Son site compagnon Marianne2 reproduit peu le contenu du journal papier. Il s’est ouvert au « Marianaute » et à des blogueurs associés.. La moindre chronique de Sarkofrance attire 10 à 15 000 lecteurs. Et les commentaires, souvent très violents (cf ci-dessous), des lecteurs de Marianne2 me considèrent comme un … Journaliste. La boucle est-elle bouclée ?

8 réponses à « Le Journaliste et le Blogueur »

  1. Excellent billet, comme d’habitude… J’en avais fait sur un thème proche :
    http://jegweb.blogspot.com/2008/07/je-suis-blogueur-pas-journaliste.html

    Mais je ne suis pas là pour faire de la publicité et des compliments, mais pour faire un commentaire que je ne suis pas sûr que tu prennes pour un compliment ou de la publicité !

    Toi (le Sarkofrance de chez Blogspot) est à la frontière entre le blogage et je le journalisme (d’ailleurs, si tu as créé les annexes après blogspot, c’est aussi, je pense, pour pouvoir faire du vrai blogage comme avec ce billet).

    Il y a plusieurs catégories de blogueurs politiques (pas « exclusifs).

    Il y a ceux comme moi qui sont inspirés par un fait, une information, … qui, en leur tombant devant les yeux, va leur donner l’envie de pondre un billet.

    Il a ceux, peut-être comme Dagrouik, qui vont plus être inspirés par un sujet et vont le travailler pour avoir un thème précis.

    Et il y a toi, qui recherche des informations sur la Sarkofrance, pour faire des billets sur la Sarkofrance. Ainsi, tu as réussi à transformer ton propre blog en journal de la Sarkofrance.

    A ces titres (chercheur d’information et tenancier d’un journal), tu es presque aussi proche d’un journaliste que d’un blogueur.

  2. Merci m’sieur. J’avais raté ton billet. Merci pour le lien. Je suis assez d’accord avec tes trois catégories. Je pense tout de même qu’il n’y a pas tant d’écart entre les 3. Face au Journalistes, nos trois démarches lui enlèvent l’un de ses privilèges historiques, l’éclairage de la réalité. Tu tapes davantage dans la catégorie des éditorialistes type Duhamel ou Apathie; Dagrouik tient du news magazine; et je frise le France Info.

  3. Ouaip ! Il n’y a pas un gros écart mais surtout, les catégories ne sont pas exclusives (il m’arrive de piquer du boulot à Dagrouik en détaillant un rapport de l’OCDE…).

    Je vais prendre pour un compliment le fait d’être comparé à Duhamel ou Apathie…

  4. Les commentateurs de Marianne prennent un blogueur pour un journaliste… Sans doute ne sont-ils pas habitués à fréquenter autre chose que des blogs de journalistes ! Je pense qu’il y a un écosystème différent dans un blog qui a commencé en tant que blog, et un blog qui sert juste à servir de tribune à un journaliste. (Souvent connu.)

    Attention : cela dit, il y a de bons blogs de journalistes… Simplement, ils tendent à fonctionner entre journalistes.

  5. En plus, c’est chouette, comme on n’est pas rémunéré, on ne peut pas être licencié pour cause d’avis divergeant !
    🙂

  6. Je n’aurais rien à ajouter à cet article… Je n’aurais jamais la prétention d’être journaliste… J’aime écrire depuis toujours. J’ai lu très jeune les journaux qui rentraient à la maison et m’intéressais déjà à la politique dès 9 ou 10 ans.
    « S’informer demande un effort » ais-je entendu dire Serge Halimi (Monde dimplomatique) dans une conférence au théâtre de Cergy-Pontoise. POur moi, c’est du travail mais en même temps un plaisir. Je travaile beaucoup (privilège de l’âge : la retraite) car je ne veux pas m’abreuver à une seule source. Même si je constate hélas que nombre de journalistes ne font que reproduire les dépêches… nous sommes aussi très capables de les lire et de les comprendre !
    Ensuite, l’analyse est fonction des convictions, de la formation intellectuelle et d’une bonne dose d’intuition (j’y ajouterais aussi le « sens de l’Histoire » et j’ai la chance d’être passionnée par l’histoire et d’avoir de bons ouvrages de référence… et quand la mémoire me fait défaut… je consulte Google ou wikipedia).
    Sur les faits, j’essaie d’être le plus précise possible, de recouper mes sources. Et d’être scrupuleusement honnête. Quitte à faire amende honorable si j’ai commis une erreur.

  7. Monsieur Poireau a tout à fait raison… comme dit la chanson : « il est libre max » ! A moins qu’un jour je ne m’auto-licencie ?

  8. […] leur job. Je suis en particulier frappé par la redondance d’informations similaires, comme la simple reprise, à peine commentée, de dépêches AFP. Le cloisonnement entre médias en ligne et presse écrite est aussi un symptôme largement […]

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