J’évite ici ou ailleurs de débattre sur les violences policières. Non pas que je les accepte, mais le sujet est épineux. C’est un peu comme le conflit israelo-palestinien. Chacun s’envoie ses arguments et ses préjugés à la gueule. Critiquez les flics, et on vous rétorque que vous êtes angélique, que les vraies victimes sont celles des racailles. Fustigez les délinquants, et on vous traite d’autoritaire tendance fasciste, ou de suppôt du FN.
L’intervention de la police a besoin de règles, évidemment. Les flics les transgressent parfois, c’est sûr. Quand ils les transgressent contre des civils qui n’ont rien à voir avec le banditisme, c’est ignoble. Eux sont dépositaires de l’autorité publique. Je pense aux images de cette expulsion d’un squat diffusée par Mediapart, et relayée également sur Sarkofrance. Ces images-là font mal. Mais parfois, le flic a de vrais truands en face de lui. Au cinéma, ce conflit de terrain entre la morale et l’action est devenu un genre.
Le Point a récemment publié le témoignage d’un policier de la BAC. Certaines bonnes âmes critiqueront ces propos, tant l’homme reconnaît prendre des libertés avec la loi. Mais l’essentiel est ailleurs. Ce policier fustige Sarko et ses grosses paroles : du vent ! nous dit-il. La responsabilité d’un politique est d’agir, pas de parler. Sarkozy a choisi la voie inverse. Il parle, provoque, mais bride en coulisses. Il excite l’adversaire, mais ne permet pas l’action. Il préfère inventer des lois en cascade qui clivent et nous éloignent de la République. Son discours de vendredi dernier fut tristement exemplaire. Dans ce témoignage anonyme, le policier évoque, au conditionnel, une anecdote : l’un de ses collègues aurait été empêché de tirer sur un gars portant une roquette qu’il avait en visée dans la lunette de son fusil. Il explique qu’à sa place, il aurait tiré. J’avoue être troublé.
Lisez plutôt.
« Nos collègues de Grenoble ont leur nom et prénom tagués sur les murs du quartier de la Villeneuve. Et la seule réponse du ministère, c’est de les mettre au repos ou de les muter. Je suis dans la BAC depuis 10 ans. Aujourd’hui, je suis écoeuré. Une fois encore, on se couche devant les caïds. On nous a donné l’ordre de ne plus patrouiller en civil, de remettre nos uniformes pour ne pas être identifiés comme un flic de la BAC. C’est désastreux pour l’image. Les petits caïds se disent dans leur tête que les flics ont peur, qu’ils reculent. Parmi les policiers exfiltrés, il y a un major à deux mois de la retraite avec 15 ans de BAC derrière lui. C’est la honte.
On se fout de la gueule des flics, on nous prend pour de la chair à canon. Quand on pense que Sarko avait promis de karcheriser les cités ! La hiérarchie fait tout pour minimiser la gravité de la situation. Personne ne sait ce qu’est devenu l’agent de sécurité qui a failli prendre une balle. C’est l’omerta. Heureusement, l’info circule entre nous, via les portables.
(…)
J’entends certains dire il faut envoyer l’armée. Qu’on nous laisse agir, et ça ira très vite. Ce n’est pas une vingtaine de petits caïds qui vont faire la loi. Ces derniers jours, avec les renforts qui ont débarqué, les types se tiennent à carreau. Hormis quelques marioles qu’il faut savoir calmer.
(…)
Il faut arrêter de verbaliser le citoyen lambda et s’attaquer aux caïds, aux dealers, aux braqueurs. Quand un jeune de 20 ans roule dans une X6 qui coûte 120.000 euros et qu’il ne travaille pas, c’est à lui qu’il faut confisquer la voiture sur le bord de la route.
Il faut que la population sache que les policiers n’ont pas peur d’entrer dans les cités. Si nous n’y allons pas, c’est que nous avons ordre de ne pas y aller. Aujourd’hui, la hantise des autorités, c’est la bavure, l’émeute, l’embrasement. Mais à force de reculer, de renoncer, on arrive à des situations comme aujourd’hui. Un jour, on se réveille, c’est trop tard, c’est l’effet boomerang. Je ne crois pas que les conseillers de Sarko lui disent la vérité sur ce qui se passe. Il faudrait que tous ces délégués à la sécurité, préfets ou autres viennent tourner une nuit avec la BAC pour voir l’étendue des dégâts. On dit ici qu’un flic du Raid a eu dans la jumelle de son fusil un voyou perché sur un toit avec un lance-roquettes. Et qu’il n’aurait pas reçu l’ordre de tirer. Si j’avais été à sa place, j’aurais appuyé sur la détente. Et cela ne m’aurait pas empêché d’aller manger une pizza après. Est-ce qu’on attend qu’il pulvérise un fourgon de flic ? »
« Les flics vont se mettre à tirer. S’ils ne l’ont pas encore fait, c’est parce que la peur de perdre leur boulot est plus forte. Mais les flics en ont ras le bol. Après 15 ans de police, sans le moindre problème, je me suis retrouvé du jour au lendemain mis en garde à vue, perquisitionné à mon domicile parce qu’un crevard de cité, multirécidiviste, m’avait accusé de l’avoir agressé. Ce qui était faux. Mon service de nuit à peine terminé, je me suis retrouvé en garde à vue, puis mis en examen par le doyen des juges d’instruction. Pourtant, je suis un des flics les plus décorés de ma génération. Le doyen en question qui n’avait jamais mis les pieds dans un commissariat, ni même dans une voiture de flic m’expliquait comment il fallait que j’intervienne sur la voie publique. J’ai été suspendu durant neuf mois, privé de salaire. Je vivais avec 300 euros par mois. Si je ne suis pas mis une bastos dans la tête, c’est parce que mes proches m’ont soutenu. Au bout du compte, j’ai été relaxé par le tribunal. La parole d’un flic aujourd’hui ne vaut rien. Ni devant un jeune de cité, ni devant un juge, ni devant un élu. Le flic est un sous-citoyen. »
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